Une photographie montre un jardinier en train de tailler des ifs. La légende dit en français : « En juin, taille des taupières à l’aide d’un gabarit » et en anglais : « Using a template to trim the topiary trees in June ». Sous une autre photo : « Entretien du Parterre du Midi et contrôle de la géométrie des taupières ». Et le texte n’est pas en reste : « L’art taupière provoque ce genre de réaction. Les visiteurs qui touchent ces formes étranges fragilisent pourtant les arbres. » Ou pire : « À Versailles, 700 taupières composant 65 formes ajoutent un peu de symétrie aux jardins à la française. »
Versailles est peut-être envahi de taupes, et les taupières (pièges à taupes) sont alors utiles.
Mais on parlait évidemment ici de l’art topiaire, mot très à la mode aujourd'hui.
Ce mot, absent du TLFi ou du DHLF, est relativement nouveau en français ; il est possible et même probable que le rédacteur de l’article ait bien écrit topiaire, et qu’un correcteur orthographique pas encore au parfum lui ait systématiquement substitué taupière.
Google montre également quelques spécimens d'erreurs semblables.
Mais le mot est-il si récent que ça en français ? En fait, il s'agit plutôt de retrouvailles.
Le mot s’était jadis employé, il y a bien longtemps, et avait été oublié de la plupart des dictionnaires courants, sauf Littré (et plus tard d’autres dictionnaires en plusieurs volumes) :
TOPIAIRE (to-pi-ê-r') s. f. Terme d'antiquité. Art d'orner les jardins et de donner aux arbres des formes diverses.
Adj. Qui se rapporte à l'art d'embellir les jardins.
HISTORIQUE XVIe s. RAB., Pant. IV, 1: Ung barrault d'or terny, couvert d'une vignette de grosses perles indicques, en ouvraige topiaire
YVER, p. 523: Jardins bien cultivés et façonnés en parterres, labyrinthes et topiaires
ÉTYMOLOGIE Lat. topiaria, du grec τόπια, paysage, qui vient du grec τόποσ, lieu.
Auparavant, le mot avait quand même déjà bien figuré dans un Complément au Dictionnaire de l’Académie Française, de 1843, avec cette définition :
Adjectif des deux genres (Antiquité romaine) Qui se rapporte à l’art d’embellir les jardins, d’y placer des treillages, d’y donner au buis et aux charmilles des figures régulières, L’art topiaire était en grand honneur chez les Romains. Topiaire se dit substantivement des esclaves qui exerçaient cet art.
Le mot restait donc cantonné à l’histoire ancienne des jardins. On le d'ailleurs trouve rappelé par Horace Walpole qui a publié en 1784 un Essay on Modern Gardening, avec sa traduction Essai sur l’Art des Jardins modernes, par le Duc de Nivernais. On y lit le passage suivant :
Le docteur Plot dans son histoire naturelle de l'Oxfordshire, paroît avoir été grand admirateur de ces arbres sculptés dans les formes les plus hétéroclites, qu'il appelle ouvrages topiaires (*) & il cite un certain Laurembergius pour avoir dit que les Anglois sont aussi habiles qu'aucune autre nation dans ce genre de sculpture qui rend surtout Hamptoncourt remarquable. Le docteur nomme encore d'autres Jardins qui se distinguent par des animaux & des châteaux de ce genre topiaire, & par dessus tout un nid de roitelet assez spacieux pour contenir un homme assis fur un siége creusé au dedans pour cet effet.
(*) Le mot topiary en Anglais qu'on rend ici par celui de topiaire, n'est plus connu dans la langue Angloise. (Note du Traducteur.)
Par tranches de 10 ans à partir de 1940 et jusqu’en 2010, les occurrences sont en constante augmentation : 10, 22, 75, 78, 176, 463, 570. On voit donc que le terme est réapparu dans toute sa gloire dans les années 1960, et cette fois-ci, probablement sous l’influence de l’anglais qui l’a d’abord remis en faveur : les mêmes périodes donnent pour « topiary » les nombres 1560, 2460, 4270, 6110, 11500, 23400, et 26000. Evidemment, il y a plus de livres anglais sur Google Books, donc ces nombres ne signifient rien dans l’absolu, mais la courbe de progression est nette (même s’il faudrait là aussi tenir compte du nombre exact de livres scrutés par tranche).
En 1960, André Lavacourt devait avoir observé ce mot nouveau puisqu'il écrivait dans son roman Les Français de la Décadence : "Je préfère encore la dissertation cucu-la-praline sur l'art des jardins. — On dit topiaire, monsieur. — Hein? — Topiaire, parfaitement. On dit l'art topiaire. Tu es un crétin. Tu es sans culture et tu ne sais pas un mot de français."
Tout ceci est naturellement confirmé par les mouvements des dictionnaires d’usage.
« Topiaire » est aujourd’hui dans le Larousse, avec la définition :
adjectif et nom féminin (latin topiarius, de topia, jardins de fantaisie) * Se dit de l'art de tailler les arbres et les arbustes pour obtenir des formes variées, géométriques ou autres.
Il y est rentré entre 1970, où il n’était pas, et 1983, où il est.
Il est aussi dans le Petit Robert (1993) qui indique :
n. f. – 1964 ; adj. V. 1500 ; du lat. topiarius « jardinier ». Didactique : Art de tailler architecturalement les arbres des jardins. Adj. L’art topiaire.
Ces définitions ne prennent cependant pas en compte une acception qu’on trouve aujourd’hui assez souvent pour « topiaire », à savoir l’arbre taillé lui-même, clairement à l’imitation de l’anglais. En effet, la définition de topiary dans le dictionnaire MacMillan est
[countable] a bush or a tree cut into a particular shape for decoration
[uncountable] the art or act of cutting bushes and trees into particular shapes for decoration
Cette acception se retrouve dans un livre de Mark Jones traduit de l’anglais en 2007 sous le titre Buis et autres topiaires.
Ou encore dans ce passage d’une revue de 2002 : D'autres plantes indigènes mentionnées dans les herbiers du XVIIe siècle y seront associées. Elles seront disposées "à bâton rompus" distantes d'un pied. Le topiaire central sera un if taillé en plateaux d'une hauteur d'environ quatre (Enghien, Restauration du Jardin des fleurs, par Jean-Louis Vanden Eynde).
C’est aussi le sens que "topiaire" a plusieurs fois dans l’article sur Versailles qui ouvre cet article.
Petite illustration :
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