dimanche 15 août 2010

Vasistas

Un lecteur de LSP écrit : Vasistas vient de l’allemand “was ist das ?” = qu’est-ce que c’est ?
Jusque là, tout va bien !
prononcé par les soldats prussiens de la “Wache” = surveillance (qui, prononcé à la française, a donné vache et permis l’élaboration d’une phrase revancharde bien connue) lors de l’occupation de Paris en 1871, alors que régnait le couvre feu et que certains oubliaient de masquer un oeil de boeuf ou une petite fenêtre.
Mais là, ça se gâte !

Parlons de la date d’abord, 1871 ! Le mot sous sa forme actuelle vasistas est déjà dans le dictionnaire de l’Académie en 1798 ! Le TLFi ou le DHLF (Dictionnaire historique de la langue française) mentionnent qu’en 1776, le mot est attesté sous la forme wass-ist-das et en 1784 sous la forme wasistas. Comme souvent, Google Livres permet même de trouver des datations antérieures. Par exemple, ce livre* de 1780 comprend déjà la forme vasistas.
Le mot a même eu la forme vagistas** qui fut un temps recueillie au Supplément du Dictionnaire de l’Académie, quoiqu’elle fût critiquée par les grammairiens et les lexicographes comme Laveaux***.
Bref la date d’introduction du mot est clairement antérieure à la guerre de 1870.

Parlons de la chose, maintenant. « Certains oubliaient de masquer un oeil de boeuf ou une petite fenêtre », dites-vous. C’est que vous avez en tête le sens actuel fréquent de vasistas, d’une fenêtre à tabatière prise dans le toit d’une maison. Mais ce n’est pas le sens originel de vasistas. Selon le TLFi, c’est un petit vantail vitré, pivotant sur un de ses côtés, ménagé dans une porte ou une fenêtre, et que l'on peut ouvrir indépendamment de celle-ci. . Quand il est réalisé dans une porte, c'est l'ancêtre du judas optique, et cela explique bien que dans des pays de langue allemande, des soldats français aient pu entendre en frappant aux portes des habitants "was ist das ?" (Qu'est-ce que c'est ?) et aient pu désigner ainsi ce guichet et ramener le mot en France. Hugo l’emploie bien dans ce sens dans Choses vues : Le cachot ne recevait de jour que par là et par le vasistas de la porte, jour de souffrance qui venait du corridor et du greffe et non du préau. Par ce grillage et par le vasistas, on observait, nuit et jour, Louvel, dont le lit était dans l’angle au fond.

Cf. aussi l'article de Wikipedia

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*Tant que la saison le permetra, & même dans les beaux jours de l'hiver, on tiendra une partie des croisées du midi ouvertes ; ne fût-ce qu'un simple careau de vitre, en manière de vasistas.(Ornithotrophie artificièle, ou art de faire éclôre & d'élever la volaille par le moyen d'une chaleur artificièle, Paris, 1780, page 446)

**Nous étions dans le vestibule. J'ordonnai qu'on allât promptement chercher un fiacre, et en attendant qu'il arrivât, je fis entrer la marquise dans la loge du suisse. Il n'y avait qu'un instant que nous y étions, lorsqu'un homme présenta sa figure par le vagistas entr'ouvert, et demanda si le baron était chez lui. (Jean-Baptiste Louvet de Couvray, Vie du Chevalier de Faublas, édition de 1821).

***« VAGISTAS.

Locut Vic. Ouvrez le vagistas.
Locut. Corr. Ouvrez le vasistas.

Le vasistas est une petite partie d'une porte ou d'une fenêtre, laquelle partie s'ouvre et se ferme à volonté. Ce mot vient des trois mots allemands Was ist das? (Quoi est cela?) que l'on a estropiés comme la plupart des mots qui nous viennent des langues étrangères.

Vagistas, qui est dans la bouche d'une infinité de personnes, se trouve, on ne sait pourquoi, dans le Dictionnaire de Gattel ; mais il ne se trouve que là. (Gramm. des gramm.)

M. Laveaux, dans son Dictionnaire des difficultés, a aussi écrit vagistas, quoiqu'il assigne à ce mot l'étymologie que nous venons de rapporter, qui nous paraît d'autant plus plausible que la phrase allemande : Was ist das? dans la bouche d'un Allemand, se prononce exactement comme notre mot vasistas, au moyen de l'assimilation du son du double w au son du v simple, et de la rudesse du t transportée au d. » (Dictionnaire critique et raisonné du langage vicieux ou réputé vicieux, 1835)

(article initialement ébauché sur Langue Sauce Piquante.)

Ogresse

Les correcteurs de LSP : Notons qu’ogre a deux féminins : ogresse, bien sûr, mais aussi le très joli ogrine.

Plusieurs dictionnaires disent en effet ce qu’on trouve par exemple dans le TLFi, à savoir qu’au « XVIIe s., on trouve aussi ogrine pour ogresse (1694, Gherardi, Théâtre it. ds DG) ». Examinons cela de plus près.

Gherardi était un acteur italien qui avait débuté en 1689 dans le rôle d’Arlequin au Théâtre-Italien. Il a publié sous ce titre un recueil général de toutes les comédies et scènes françaises qui ont été jouées sur le théâtre italien de l'Hôtel de Bourgogne entre 1694 et 1700. On les trouve dans des éditions du XVIIIe siècle sur Google Livres.

Il semble bien que ogrine ne soit utilisé qu’une seule fois dans Gherardi : c’est dans une comédie en un acte intitulée « les Fées ou les Contes de ma Mère L’Oye », représentée par les Comédiens italiens du Roi à l’Hôtel de Bourgogne le 2 mars 1697. Elle aurait été écrite par Biancolelli et Dufresny. On y trouve ce dialogue, alors que le prince Octave, amant d’Isménie, vient la délivrer dans une caverne d’un ogre qui la maintenait prisonnière :
« UN OGRE s'éveillant : Ah ! qu'est-ce que j'entens ? mais je sens la chair fraîche, qu'on le saisisse. (Les Ogres prennent Octave.)
ISMÉNIE : Arrêtez, barbares , arrêtez : Que voulez-vous faire , respectez un Prince que j'aime plus que ma vie.
L’OGRE : Allons , allons , qu'on le mene au Cuisinier, & qu'on le mette au courbouillon & pour vous , Madame, si vous l'aimez tant, on vous en servira un quartier a vôtre souper. (Les Ogres emmenent Octave.)
ISMÉNIE : Ah ! cruel, pouvez-vous... .
L’OGRE : Bon , bon , voilà bien du fracas pour un petit homme à demi formé. A sa place vous aurez un mary double , triple , quadruple , un Ogre , enfin. Oh si vous sçaviez ce que c'est que l'amour d'un Ogre. L'Ogre mon Maistre vous épousera , & vous ferez la Sultane Ogrine. »


Voilà donc, semble-t-il, la seule fois où l’on trouve utilisé ce ogrine, d’ailleurs dans une fonction d’épithète, voire de quasi nom propre. Le mot était-il connu, ou a-t-il été forgé pour la circonstance ? Le vocabulaire de ces comédies est parfois influencé par l’italien ; on y trouve facilement des dérivés en –in, -ine (y compris dans les noms des protagonistes Arlequin et Colombine) et peut-être est-ce pourquoi ogrine s’est présenté sous la plume. Une seconde raison pour cette dérivation pourrait être un rapprochement entre les mots existants hongre et hongrine. En tout cas, ogrine daterait donc plutôt de 1697 et ressemble fort à un hapax.

Pour ogresse, le même TLFi le date de 1697, dans le Petit Poucet des Contes de Perrault. Mais on trouve grâce à Google Livre une édition pirate hollandaise de 1696, « Recueil de pièces curieuses et nouvelles », sans nom d’auteur, qui publie la Belle au Bois Dormant de Perrault, où se trouve aussi une histoire d’ogresse qu’on omet souvent dans la version racontée aujourd’hui : « La Reine dit plusieurs fois à son fils, pour le faire s'expliquer, qu'il fallait se contenter dans la vie, mais il n'osa jamais lui confier son secret; il la craignait quoiqu'il l'aimât, car elle était de race Ogresse, et le roi ne l'avait épousée qu'à cause de son grand bien; on disait même tout bas à la Cour qu'elle avait toutes les inclinations des Ogres, et qu'en voyant de petits enfants, elle avait beaucoup peine à se retenir de se jeter sur eux; ainsi le Prince ne lui voulut jamais rien dire. » et plus loin : « Elle y alla quelques jours après, et dit un soir à son Maître d'Hôtel:
''Je veux manger demain à mon dîner la petite Aurore.
- Ah! Madame, dit le Maître d'Hôtel.
- Je le veux, reprit-elle d'un ton d'Ogresse qui a envie de manger de la chair fraîche. Ce pauvre homme, voyant bien qu'il ne fallait pas se jouer à une Ogresse, prit son grand couteau, et monta à la chambre de la petite Aurore. »
On voit au passage que cette version ne contient pas la précision culinaire qu’apportera la Reine dans les versions suivantes :
« je veux la manger à la sauce-robert. »

Sous réserve d’autres documents, il semble donc plutôt que ogresse ait précédé de peu un ogrine qui est resté isolé.

Paru dans Langue Sauce Piquante

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Un commentaire attire l'attention sur Gallica ou sur Google Livres. À noter dans ce lexique de 1580 le mot orthographie pour orthographe : la manière et science d’escrire chacun mot par ses lettres.